Contre le projet d’arrêté modifiant le couvre-feu applicable à l’aéroport de Beauvais-Tillé

Faut-il laisser perdurer un modèle économique de flux tendu que le moindre aléa va perturber en provoquant un retard de l’avion au détriment de la santé des riverains de l’aéroport ?

 

QUI PEUT VIVRE AVEC 5 HEURES DE CALME PAR 24 HEURES ?

 

Qu’est-ce qui est plus important? Permettre à 190 personnes de voyager entre Barcelone et Beauvais pour arriver à Beauvais-Tillé au milieu de la nuit? Ou bien préserver la santé des milliers de personnes qui seront réveillées par ce vol?

 

1.          L’augmentation des vols de nuit, conséquence directe de l’assouplissement du couvre-feu, en ce qu’il permet aux compagnies aériennes de baser des avions à Beauvais-Tillé

Depuis le début du mois de décembre 2020, la compagnie Ryanair a basé deux avions à Beauvais. Les conditions d’exploitation des plages horaires a changé et nous voyons une augmentation régulière des mouvements d’avions la nuit. Ainsi, alors qu’en 2015, année où l’aéroport de Beauvais-Tillé a eu la plus forte activité, les 1.582 vols de nuit représentaient 5,75% du total des mouvements de l’année.

En 2021, première année d’exploitation avec des avions basés, les 879 vols de nuit des 3 premiers trimestres représentaient 9% du total des mouvements de l’aéroport avec une progression dans l’année pour atteindre 11% du total des mouvements du 3ème trimestre 2021.

Voilà tout l’impact de la modification de l’arrêté de 2002 assouplissant le couvre-feu. Les plages horaires de nuit sont beaucoup plus utilisées depuis que Ryanair a basé deux avions à l’aéroport.

La notice de présentation du projet d’arrêté assouplissant le couvre-feu de 2019 (Arrêté annulé depuis en juillet 2021) nous expliquait bien que l’assouplissement du couvre-feu était rendu nécessaire pour accueillir les bases des compagnies aériennes. Il est donc évident que l’augmentation des vols de nuit sera la conséquence directe de la base Ryanair et donc de l’assouplissement du couvre-feu proposé par ce projet d’arrêté.

L’autre conséquence de l’assouplissement du couvre-feu pour permettre aux compagnies aériennes de baser des avions à l’aéroport de Beauvais-Tillé était l’augmentation du trafic passager pour passer de 4 millions à 6 millions de passagers. L’augmentation corrélative du nombre de mouvements et donc des vols de nuit entrainera des risques pour la santé des riverains tant par l’augmentation du niveau de bruit que des émissions polluantes de l’air, notamment les oxydes d’azote et les particules ultrafines.

L’arrêté ne limite pas les essais moteur pendant la période de couvre-feu et qui pourraient nuire considérablement aux riverains très proches de l’aéroport. Il conviendrait de prévoir une restriction sur les essais moteur la nuit.

2.           Le couvre-feu, une protection environnementale à visée sanitaire

Un couvre-feu de 5 heures a été mis en place en 2002 pour protéger les riverains de l’aéroport contre les risques d’exposition au bruit des avions la nuit. Il s’agissait d’une mesure environnementale à portée sanitaire. Les scientifiques ont démontré depuis des décennies que le bruit est dangereux pour la santé et que le bruit la nuit est encore plus à l’origine de stress qui conduit à l’hypertension, elle-même facteur de risque de maladies cardiovasculaires. Le bruit est la deuxième cause environnementale de décès prématuré en Europe.

Le couvre-feu de Beauvais-Tillé n’est prévu que pour la période en cœur de nuit, d’une durée de 5 heures. Il est largement insuffisant pour correctement protéger les riverains. La nuit est une période de 8 heures consécutives, définie par la directive 2002/49 sur le bruit dans l’environnement et par l’OMS. Au lieu d’assouplir et de réduire le bénéfice du couvre-feu, il devrait au contraire être étendu à une période plus longue couvrant la totalité de la nuit, soit 8 heures.

3.          Un nécessaire moratoire sur le développement aérien pour réduire l’impact sur le climat

Alors que la COP26 se tenait il y a quelques jours à Glasgow et que le président Macron plaidait pour une économie plus sobre en énergie fossile et la nécessaire réduction des gaz à effet de serre, comment laisser se développer un aéroport local. L’assouplissement du couvre-feu n’est en réalité, comme l’expliquait le ministère des transports en 2019 dans sa note de présentation de l’arrêté précédent annulé pour régression environnementale par le conseil d’état, que la marche nécessaire pour déplafonner l’aéroport et lui permettre d’accroître considérablement le trafic. L’objectif est à court terme une augmentation du nombre de passagers de 150% pour passer de 4 millions à 6 millions et continuer de croître par la suite. Le SMABT (propriétaire de l’aéroport) nous a bien expliqué que tant qu’il y aurait de la demande on augmenterait l’offre de voyages.

La lutte contre les gaz à effet de serre doit conduire à restreindre le développement du transport aérien tant qu’une solution pérenne n’est pas en place. Cela passe donc aussi par la limitation du développement de l’aéroport de Beauvais-Tillé.

4.          L’augmentation du trafic provoque une pollution chimique supplémentaire nocive pour les riverains

Les avions polluent l’air ambiant. Ajout de dioxyde d’azote NO2, et de particules fines et ultra fines dans l’air. Cette pollution est dangereuse pour l’homme et provoque une augmentation des cas d’asthme, d’affections bronchiques et de cancer. Les particules ultra fines contribuent au développement des maladies dégénératives du cerveau, l’infertilité masculine, etc.

Laisser se développer sans maîtrise un aéroport implique nécessairement une participation à l’augmentation de la pollution locale. Il est de la responsabilité des élus locaux mais aussi de l’Etat représenté ici par la DGAC de protéger les citoyens contre les risques sanitaires liés aux émissions polluantes.

5.          L’encadrement et l’intérêt général devant fonder les dérogations

Le conseil d’état avait annulé l’arrêté de 2019 au motif que les dérogations n’étaient pas suffisamment encadrées. L’Etat propose donc de limiter les dérogations en contraignant les arrivées entre zéro heure et une heure, en limitant le nombre de dérogations à 25 par an et en donnant des indications sur les raisons motivant les dérogations.

Le bruit ambiant dans les communes situées dans le plan d’exposition au bruit est très faible notamment la nuit. Le passage d’un seul avion a pour conséquence de réveiller des milliers de personnes.

Compte-tenu des destinations desservies par l’aéroport, un pilote au départ pour rallier la base de Beauvais sait précisément l’heure à laquelle il arrivera à destination et qu’il devra donc enfreindre le couvre-feu. C’est d’ailleurs avant de partir que ce pilote déposera une demande de dérogation pour arriver pendant le couvre-feu sans avoir à payer l’amende pouvant s’élever jusqu’à 40.000€.

Ce pilote ne devrait pas recevoir l’autorisation de décoller et attendre pour rallier sa base qu’il puisse arriver en dehors du couvre-feu. Il n’a pas à demander à atterrir à un autre aéroport. Sa décision est prise sur un aspect uniquement pécuniaire. S’il décolle sans trop de retard il n’aura pas à indemniser les passagers ni à les loger pour la nuit. Quitte à atterrir sur un autre aéroport que Beauvais et à acheminer les passagers par autocar dans la nuit et l’avion dans la matinée.

La décision est purement entre les mains de la compagnie et son fondement est purement économique. Il s’agit donc de préserver l’intérêt particulier, privé, de la compagnie aérienne au détriment de l’intérêt général des populations survolées.

Les compagnies qui souhaitent baser leurs avions à Beauvais-Tillé connaissent la situation et le couvre-feu. Ce n’est pas aux riverains de s’adapter au modèle économique de la compagnie mais à celle-ci de s’adapter et de respecter la santé des riverains.

Quand au nombre de 25 dérogations, présenté comme une limite, il deviendra rapidement un quota. Pourquoi 25 dérogations ? Le représentant de Ryanair lui-même avait précisé lors de la CCE de 2019 sur le précédant arrêté que Ryanair pouvait fort bien baser des avions à Beauvais sans que le couvre-feu soit assoupli. Pour 14 avions basés à Charleroi, seulement 3 dérogations avaient été nécessaires l’année précédente. (cf le compte-rendu de la CCE de 2019). Pourquoi alors fixer à 25 le nombre de dérogations possibles ? plus de deux par mois. Combien faudra-t-il de dérogations lorsque tous les 12 parkings de l’aéroport seront occupés le nuit par des avions basés ? Faudra-t-il alors modifier l’arrêté pour porter la limite à 125 dérogations par an ?

6.          Des dérogations limitées aux « avions les plus performants » ?

Il est prévu que les dérogations ne soient consenties que pour les avions les plus performants sur le plan acoustique. En réalité, en limitant les dérogations aux avions « ayant une marge cumulée égale ou supérieure à 13 EPNdB » par rapport au chapitre 3, il ne s’agit pas des avions les plus performants qui cumulent 17 EPNdB de marge par rapport au chapitre 3, et ce sont ceux certifiés en application du chapitre 14. Pourquoi mentir dans le document de présentation ?

7.          Les conditions d’octroi des dérogations

Le projet d’arrêté avait été « vendu » comme une procédure exceptionnelle applicable dans des situations exceptionnelles. Le projet d’arrêté ne reprend pas ce caractère exceptionnel des dérogations. Il suffit que « le retard soit indépendant de la volonté de la compagnie ».

Je ne connais aucune compagnie voulant arriver en retard. L’arrêté ne demande cependant aucune autre condition pour pouvoir obtenir une dérogation.

Au surplus, pour consentir une dérogation le ministre (ou son représentant) devra tenir compte de l’impact financier pour la compagnie d’un déroutement de l’appareil sur un aéroport moins protecteur de ses riverains et autorisant les vols de nuit. Voilà donc l’un des but principaux de ce projet d’arrêté, limiter les frais de la compagnie aérienne, au détriment de la santé des riverains de l’aéroport.

8.          Une commune sacrifiée

Il est une conséquence souvent oubliée de cet assouplissement. Il permet d’exploiter des marges plus larges le matin et la nuit. Les vols aujourd’hui partent de l’aéroport dès 6h30 et souvent avant. Dès qu’il sera possible, les vols partiront dès la fin du couvre-feu à 5h le matin (donc pendant la nuit). Pour partir le matin de bonne heure, les passagers arrivent deux heures avant leur vol, en pleine nuit encore donc. De même pour les vols qui arrivent de nuit avant minuit. L’aéroport est situé en pleine ville à Tillé. De nombreux passagers circulent en voiture et à pied dans Tillé en pleine nuit avec leurs valises et en parlant comme en plein jour. Ils causent de nouveaux réveils et sont une nuisance certaine pour les habitants de la commune.

Ce bruit nocturne, directement lié à l’activité de l’aéroport est lui aussi dommageable pour la santé des riverains ayant du mal à trouver le sommeil et/ou réveillés par les passagers.

9.          Un manque de transparence évident : où sont l’avis de l’ACNUSA, l’étude d’impact sur l’environnement, la décision de la CCE ?

La consultation publique est lancée mais sans l’ensemble des informations permettant d’être pleinement informés. Comment alors permettre aux habitants et à leurs élus de répondre à votre consultation sans certaines des informations essentielles ?

L’ACNUSA doit être consultée et donner un avis sur le projet d’arrêté. Cet avis n’est pas joint au dossier de consultation. C’est un grave manquement à l’information peine et transparente. Que veut nous cacher ce ministère des transports ?

L’absence de transparence est très dommageable à la démocratie. Pourtant c’est ce que vous faites avec cette consultation précipitée pour répondre aux attentes trépignantes d’une compagnie aérienne.

Comment prendre position alors qu’aucune étude d’impact sur l’environnement n’a été menée pour évaluer les conséquences d’un assouplissement du couvre-feu.

Où est l’avis de la CCE, elle est mentionnée dans la notice de présentation mais n’est pas jointe au dossier. Un nouveau manquement à l’obligation de donner des informations permettant de prendre position.

La confiance dans les institutions est indispensable. Votre manière de procéder ne renforce pas cette confiance.

10.      La consultation publique

J’ai déjà eu l’occasion de m’exprimer sur le procédé de consultation publique sur internet. Il n’y a eu aucune information des habitants. Comment peuvent-ils alors savoir qu’il existe une consultation et y répondre?

Dans nos campagnes les installations internet ne sont pas encore toutes efficientes. De nombreuses personnes âgées sont peu connectées ou savent mal utiliser les outils internet. Un registre aurait dû être mis à leur disposition dans les communes. Pas à la préfecture du département, souvent trop éloignée.

La procédure doit être adaptée. Elle n’est disponible qu’aux personnes connectées. L’état de développement informatique est encore insuffisant pour ne laisser que ce mode de communication.

A Milly-sur-Thérain, le 17 novembre 2021