DEROGATIONS AU COUVRE-FEU

Et voilà, après 3 ans de test, l’administration veut pérenniser la faculté d’octroyer des dérogations au couvre-feu, de minuit à une heure, à certaines conditions peu précises.

Préalablement à la signature du texte de l’arrêté, une consultation publique est engagée sur le site du ministère du développement durable. L’usage n’est pas évident est nombreuses sont les personnes qui m’ont demandé comment il fonctionnait… en effet, il n’est pas intuitif.

La consultation sera en ligne jusqu’au 10 février à cette adresse : https://www.vie-publique.fr/consultations/296946-projet-darrete-restrictions-exploitation-aerodrome-beauvais-tille-oise

L’ADERA a déposé le commentaire que vous trouverez ci-après :

CONTRE LE PROJET D’ARRETE RELATIF AUX RESTRICTIONS D’EXPLOITATION DE L’AERODROME DE BEAUVAIS-TILLE


L’ADERA est une association représentant les riverains de l’aéroport de Beauvais-Tillé qui défend l’environnement sur le territoire affecté par les pollutions générées par l’exploitation de l’aérodrome de Beauvais-Tillé.

Les commentaires sur l’arrêté objet de la consultation doivent être éclairés par les notes de présentation des arrêtés modificatifs précédents, en 2019 et en 2021 mises en ligne par le ministère.

La compagnie Ryanair souhaitait baser trois de ses avions à Beauvais-Tillé, mais cette base ne pouvait voir le jour que si les avions en retard pouvaient rentrer à l’aéroport pendant la période couverte par le couvre-feu. L’aéroport et le syndicat mixte propriétaire de l’aéroport voyaient en cette opportunité l’essor toujours plus grand de l’aéroport.

De fait, de 4.500 mouvements d’avions commerciaux en l’an 2000 à près de 24.000 en 2019, la croissance de l’aéroport avait été impressionnante mais il en fallait encore plus, quitte à nuire encore plus aux riverains.

Pendant près de 20 ans, les riverains de l’aéroport ont pu être protégés la nuit par l’arrêté du 25 avril 2002 imposant un couvre-feu de minuit à 5 heures. Les seules dérogations possibles concernaient les vols sanitaires, les cas d’urgence, les vols gouvernementaux par exemple. Les avions arrivaient le matin vers 8 heures, ils repartaient vers 8h30 et il n’y avait quasiment pas d’infraction au couvre-feu. Le nombre de vols de nuit, c’est-à-dire entre 22 heures et 6 heures, n’excédait pas 1.758 par an (chiffre de 2019, représentant 7,2% du trafic total).

Le premier arrêté autorisant des dérogations au couvre-feu a pris effet en 2020, mais, après son annulation par le conseil d’état pour régression environnementale, un deuxième arrêté l’a remplacé, prenant effet courant mars 2022.

Présenté par les dirigeants de l’aéroport et du syndicat mixte propriétaire de l’aéroport comme une possibilité de baser deux à trois avions, il y a maintenant cinq avions basés à Beauvais-Tillé et l’aéroport peux en accueillir un plus grand nombre, jusqu’à 12 aujourd’hui et bientôt 18 après les travaux d’agrandissement prévus pour les années à venir. L’opération permettait également un apport de 2 millions de passagers en quatre ans. Le but est atteint puisqu’il y a eu plus de 6 millions de passagers en 2024 contre un peu moins de 4 millions en 2019.

A la suite de l’installation de la base Ryanair, nous avons constaté un changement radical d’exploitation des plages horaires de l’aéroport. Les premiers départs d’avions se font dès 6 heures au lieu de 8h30 et le nombre d’avions de nuit a considérablement augmenté, jusqu’à quadrupler à certaines périodes en 2024.
Le tableau ci-après est issu des informations données par l’aéroport dans son bulletin de l’environnement. L’année 2018 n’est pas renseignée par l’aéroport et l’année 2020 est celle de la fermeture partielle en raison de la pandémie du COVID.

  1. Le couvre-feu, une protection environnementale à visée sanitaire
    Un couvre-feu de 5 heures avait été mis en place en 2002 pour protéger les riverains de l’aéroport contre les risques d’exposition au bruit des avions la nuit. Il s’agissait d’une mesure environnementale à portée sanitaire. Les scientifiques ont démontré depuis des décennies, et en France, notamment dans l’étude DEBATS, que le bruit est dangereux pour la santé et que le bruit la nuit est encore plus à l’origine de stress qui conduit à l’hypertension, elle-même facteur de risque de maladies cardiovasculaires. Le bruit est la deuxième cause environnementale de décès prématuré en Europe.
    Qui peut vivre avec moins de 5 heures de calme par 24h?
    Le couvre-feu de Beauvais-Tillé n’est prévu que pour la période en cœur de nuit, d’une durée de 5 heures. Il est largement insuffisant pour correctement protéger les riverains. La nuit est une période de 8 heures consécutives, définie par la directive 2002/49 sur le bruit dans l’environnement et par l’OMS. Au lieu d’assouplir et de réduire le bénéfice du couvre-feu, il devrait au contraire être étendu à une période plus longue couvrant la totalité de la nuit, soit 8 heures.
    Il faut également insister sur le fait que l’aéroport de Beauvais est enchâssé dans la commune de Tillé et que de nombreux passagers garent leur voiture sur le territoire de cette commune pour rejoindre les aérogares à pied en traînant leurs valises dans la rue et en bavardant comme s’ils étaient seuls au monde. L’aéroport ouvrant le matin à 3h30, il ferme à 23h30 ou plus tard en cas de retard d’avion. Les habitants de Tillé sur les voies d’accès à l’aéroport n’ont donc eux, qu’au maximum 3 à 4 heures de repos.
    L’ADERA est donc opposée à la prorogation des possibilités de dérogations pour l’atterrissage d’aéronefs pendant le couvre-feu, autres que celles déjà prévues à l’arrêté du 25 avril 2002.
  2. Modification de l’arrêté du 8 mars 2022 sur les dérogations au couvre-feu
    Côté aéroport et syndicat mixte propriétaire de l’aéroport, les dérogations sont justifiées par une raison purement économique, le développement de l’aéroport grâce à la base Ryanair, qui pourrait par la suite s’étendre à Wizzair ou à d’autres compagnies aériennes clientes de l’aéroport.
    Côté administration, on met plutôt en avant les droits des passagers.
    Mais quel est l’intérêt public supérieur qui justifie qu’une telle pollution, notamment sonore, ayant un effet délétère sur la santé des riverains (que ce soit au départ de l’avion, qu’à son arrivée à Beauvais-Tillé), causant un risque accru de maladie cardiovasculaire et de mortalité soit imposé aux riverains ?
    Pour rappel, voici les conclusions de l’étude DEBATS (Rapport_Debats_2020.pdf) :
    L’étude écologique suggère qu’une augmentation de l’exposition au bruit des avions de 10 dB(A) est associée à un risque de mortalité plus élevé de 18 % pour l’ensemble des maladies cardiovasculaires, de 24 % pour les seules maladies cardiaques ischémiques et de 28 % pour les seuls infarctus du myocarde.
    L’OMS, dans ses lignes directrices pour l’Europe expose que pour le bruit aérien, le risque de perdre des jours de vie en bonne santé apparait dès une exposition à Lden 45 dB et Lnight 40 dB. Les contours de bruit à Beauvais-Tillé, comme partout en France pour les aéroports dits « acnusés », commencent à Lden 50 dB. Le plan d’exposition au bruit de 2012 pour un trafic maximum de 32.000 mouvements de même que le plan de gêne sonore de 2012 également pour un trafic de 28.000 mouvements sont obsolète depuis plusieurs années et aucune décision de révision n’a été prise.
    L’emport moyen à Beauvais est de 167 passagers. Il y a donc environ 167 personnes dans l’avion (Bulletin de l’environnement de l’aéroport Le bulletin de l’environnement: Aéroport Paris-Beauvais) qui voyagent pour le tourisme ou visiter leur famille, principalement le tourisme s’agissant de l’aéroport de Beauvais. Tout voyageur, quel que soit le mode de transport peut parfois subir des aléas. Une panne de voiture, un choc de locomotive avec un animal, un retard important de train. Ces aléas sont supportés normalement par le voyageur, sauf pour les transports aériens. Ce sont les riverains qui doivent supporter les aléas des transports qui devraient rester à la charge des passagers. Un avion avec à son bord 167 personnes réveille toute une région. Des milliers de personnes, au départ comme à l’arrivée. Si l’avion avait attendu le matin pour partir, les passagers auraient été hébergés et nourris… et parfois aussi indemnisés d’un montant souvent bien supérieur au prix d’achat du billet. Oui, un avion retardé c’est un coût pour la compagnie aérienne… mais c’est aussi un poids pour les survolés. Les riverains, eux, n’ont aucune indemnisation, aucun recours, juste des réveils en pleine nuit qui pourrissent leur repos, les fatigue, empêche le développement cognitif des enfants, altèrent leur journée de travail le lendemain.
  3. Si des dérogations doivent être accordées, il faut mieux les encadrer
    Déjà en 2019 et en 2022 nous avions des observations sur les projets d’arrêtés, qui n’avaient pas été reprises. Il est encore temps d’y remédier et nous vous demandons donc d’apporter les modifications suivantes au projet d’arrêté :
  4. Avions autorisés à atterrir : il nous avait été affirmé qu’il s’agirait des avions de dernière génération. Ceux visés par l’arrêté de 2022 (chapitres 4 et 14) ne sont pas forcément les avions de dernière génération. Nous vous demandons donc que plutôt de raisonner en marge de bruit de certification, il faudrait mentionner le cumul de bruit certifié en EpndB des avions bénéficiant des dérogations. C’est d’ailleurs ce que demandait l’ACNUSA en 2022. Quant aux avions « ayant une marge cumulée égale ou supérieure à 13 EPNdB » par rapport au chapitre 3, il ne s’agit pas des avions les plus performants. Ces derniers cumulent 17 EPNdB de marge par rapport au chapitre 3, et ce sont ceux certifiés en application du chapitre 14.
  5. Programmation des vols : depuis 2022 il y a eu un doublement voire un quadruplement des avions la nuit, pendant la période 22h-minuit. Nous faisons le lien entre la montée en puissance de la base Ryanair, qui ne s’installait que s’il y avait des droits à dérogations au couvre-feu.
    Les avions arrivant de plus en plus tard, leur programmation à l’arrivée comme au départ devrait être faite jusqu’à 22h30 mais pas au-delà pour éviter des débordements trop tardifs.
  6. L’un des critères de l’octroi d’une dérogation est qu’il doit s’agir d’un avion « subissant un retard pour des raisons indépendantes de la volonté du transporteur » . Nous ne connaissons pas de transporteur ayant une volonté d’arriver en retard. Nous n’avons aujourd’hui pas de précisions sur les raisons des retards et tout reste très flou. D’ailleurs, les services concernés de la DGAC nous ont confié qu’elle ne vérifiait pas la véracité de la cause du retard. Même si nous n’avons pas de contentieux comme à d’autres aéroports (Nantes, Bâle-Mulhouse ou Orly par exemple) nous souhaiterions préciser les justifications des retards donnant droit à dérogation comme cela a été fait à Nantes dans un arrêté du 23 mai 2024 :
    « Sont notamment considérés comme raisons indépendantes de la volonté du transporteur les évènements suivants, survenus au cours d’une même journée d’exploitation, qui, par leur nature, origine, ampleur ou caractère inhabituel, ont pour effet d’affecter l’exploitation normale d’un aérodrome ou d’un aéronef ou de perturber la programmation des vols, sauf s’ils auraient pu être évités ou minimisés par des mesures raisonnables prises par le transporteur aérien :
    « 1° Le déroutement d’un vol en raison d’une urgence sanitaire survenue à bord ;
    « 2° Un conflit social ou une manifestation, extérieurs à l’activité du transporteur ;
    « 3° Une instruction d’un service du contrôle de la circulation aérienne modifiant la programmation horaire initiale d’un vol ;
    « 4° Un problème d’ordre technique affectant l’aéronef qui échappe à la maîtrise effective du transporteur ;
    « 5° Un événement susceptible d’affecter la sûreté ou la sécurité d’un vol ;
    « 6° Un événement lié à l’exploitation de l’aéroport de départ ou d’arrivée ou à l’exploitation de l’aéronef au sol. »
  7. Heure d’arrivée basée sur le « toucher de roue » : Pourquoi avoir deux formats différents pour le départ et l’arrivée. Pour le départ, on considère le départ du bloc, donc un avion peut décoller pendant le couvre-feu s’il a commencé à quitter le parking avant minuit. Les riverains sont souvent agacés et comprennent mal ce décollage pendant le couvre-feu. Il faudrait aligner les procédures. Si l’arrivée d’un avion dans les horaires autorisés dépend de l’heure d’atterrissage, son heure de départ devrait alors être appréciée en fonction du décollage effectif.
  8. L’arrêté du 25 avril 2002 contenait une restriction d’exploitation pour la période 22h-minuit ne concernant que les avions du chapitre 3 avec une marge cumulée inférieure à 5 EpndB. Aujourd’hui, tous les avions du chapitre 3 peuvent être exclus d’un aéroport pour toute la période de 24h. Si les avions acceptés à Beauvais-Tillé la nuit sont les plus récents, il faut au minimum aligner l’interdiction avec celle prévue à l’article 1er III de l’arrêté du 8 mars 2022 portant restriction d’exploitation de l’aérodrome de Beauvais-Tillé.
    A Milly-sur-Thérain, le 28 janvier 2025
    Pour l’ADERA, sa présidente, Dominique Lazarski