Milly sur Thérain, le 13 décembre 2018
Pendant longtemps nous aurions pu être bercés des illusions alimentées par nos élus qui couvent l’aéroport…. Nous n’étions cependant pas si naïfs et restions attentifs au moindre changement concernant notre encombrant voisin.
Aujourd’hui, nous sommes à la veille d’un bouleversement dans les conditions d’exploitation de l’aéroport.
Ryanair souhaite avoir quelques avions basés à Beauvais, dans l’idéal, ils souhaitaient commencer au premier trimestre 2019 avec 3 avions basés. Le SMABT (syndicat mixte regroupant les collectivités territoriales propriétaires des installations aéroportuaires) a donné – en septembre – un accord de principe sur le projet pour que la SAGEB, exploitant de l’aéroport, puisse négocier avec Ryanair. Une décision définitive sera prise prochainement.
Je vais tenter de vous expliquer la situation et vous livrer mes réflexions. C’est un peu long mais précis et très transparent. Vous aurez l’occasion de nous parler à l’occasion d’une réunion d’information, vous pouvez également m’écrire par mail ou courrier.
1. Une « base », qu’est-ce que ça signifie ? Entre 3 et 12 avions stationnés à Beauvais la nuit
- Une base, ce sont quelques avions, aujourd’hui probablement 3, qui resteraient à Beauvais toute la nuit. Dans la configuration actuelle de l’aéroport, il pourrait y en avoir jusqu’à 12.
- Ces avions qui passeraient la nuit à Beauvais arriveraient donc sur leur dernier segment de la journée. Un avion Ryanair ou Wizzair fait jusqu’à 8 rotations par jour. Les avions basés seraient donc à la fin de leur journée lorsqu’ils atterriront à Beauvais, ce seraient les derniers avions à atterrir la nuit.
- Ils bénéficieraient d’une maintenance pendant la nuit pour être prêts à repartir le lendemain matin, des essais moteurs pourraient être réalisés.
- Ce seraient les premiers avions à partir le matin
2. Quelle est la situation aujourd’hui ? Des mouvements d’avions de 8 heures à 22h30 (au plus tard minuit)
- L’aéroport est soumis à un couvre-feu de minuit à 5 heures. En théorie donc, les avions peuvent atterrir ou décoller jusqu’à minuit et ils peuvent atterrir et décoller dès 5 heures. L’aéroport est fermé la nuit.
- En pratique cependant, le dernier départ est prévu vers 22h30 , en raison de retards accumulés dans la journée il arrive que ce départ soit en bordure de couvre-feu, aux alentours de minuit. Il n’y a pas d’infraction au couvre-feu.
- Le matin, la première arrivée en ce moment est vers 8 heures avec un premier départ vers 8h30.
- Les passagers de l’aéroport viennent pour la majorité de Paris et la plupart prennent l’autocar mis en place par l’aéroport. Beaucoup arrivent au point de départ de l’autocar par les transports en commun et notamment le métro qui n’ouvre qu’à 5h30. En pratique donc, avec les temps de transport jusqu’à l’aéroport (1h) et les besoins de dépose de bagages et des vérifications de sécurité un avion peut difficilement partir à 5h le matin.
3. Qu’est-ce ce qu’une base impliquerait comme modifications ? 3 heures de calme en moins
- Des arrivées tardives : l’aéroport propose de fixer à 23h l’heure d’arrivée la plus tardive des avions. Cependant, les retards accumulés ne permettront pas toujours d’arriver avant minuit à l’aéroport. Aujourd’hui, en cas d’arrivée après minuit, l’avion est détourné vers un autre aéroport ouvert toute la nuit, une infraction au couvre-feu serait sanctionné d’une amende pouvant aller jusqu’à 40.000€. Le couvre-feu est donc un frein pour que les compagnies basent des avions à Beauvais.
- Nos élus, notamment ceux siégeant au SMABT, Madame Caroline Cayeux en étant la présidente, nous ont toujours assurés qu’ils n’accepteraient pas de suppression du couvre-feu. Ils sont prêts aujourd’hui à accepter que les arrivées des avions puissent se faire jusqu’à 1h le matin sans pénalité. En droit, le couvre-feu serait toujours applicable à partir de minuit mais avec une dérogation et donc sans pénalité pour les retards jusqu’à 1heure du matin, il y a bien une amputation du couvre-feu d’une heure.
- On nous dit qu’il ne s’agirait que de retards ponctuels mais sans aucune indication de ce que « ponctuel » signifie et donc aucune proposition d’engagement sur un nombre limité d’infractions au couvre-feu. D’expérience, à Frankfort notamment où Ryanair dispose d’une base dans un aéroport avec un couvre-feu nocturne, cette compagnie est extrêmement souvent en retard, par exemple elle a enfreint le couvre-feu 32 fois en octobre 2017 et 39 fois en novembre 2017 (pour 10 avions basés), une compagnie similaire, Volotea, qui soumet ses avions a un grand nombre de rotations également enfreint régulièrement les restrictions de nuit à l’aéroport de Strasbourg. L’expérience démontre qu’un couvre-feu sans sanction n’est pas un couvre-feu. L’expérience est la même à Rome où Ryanair a des avions basés, un représentant de l’aviation civile italienne m’a confirmé que cette compagnie est régulièrement en retard et ne respecte pas le couvre-feu (qui n’est pas sanctionné par des pénalités). Il n’a pas été proposé de limitation du nombre des retards par an et par mois.
- Des arrivées tardives d’avions ce sont aussi des véhicules et autocars qui circulent plus tard et des piétons dans Tillé qui traînent leurs valises jusqu’à leur parking, notamment pour ceux qui utilisent les parkings privés en ville.
- L’aéroport propose d’étendre le couvre-feu le matin de 5h à 6h. Ainsi que je l’indiquais ci-dessus, en pratique, nous perdrons en calme puisqu’aujourd’hui les avions n’atterrissent pas ni ne décollent respectivement avant 8h et 8h30… Des avions basés à Beauvais c’est l’assurance de départs à la première heure possible pour permettre les 8 rotations de l’avion pendant la journée. En pratique nous perdrions donc une à deux heures de calme le matin. A nouveau, il faudrait aussi compter le trafic routier et les piétons dans la ville de Tillé roulant leurs valises
- L’entretien des avions la nuit est une activité qui peut être bruyante lors des essais moteurs, réalisés le matin probablement de très bonne heure afin que les avions soient prêts pour le départ. Il ne faut négliger non plus le bip de recul des véhicules pour les riverains les plus proches de l’aéroport. Il n’est pas prévu de couvre-feu en deux parties (i) essais moteurs et (ii) décollages-atterrissages.
- L’aéroport propose enfin une interdiction des avions les plus bruyants, la période de restriction n’est pas précisée, serait-ce seulement la nuit ou aussi le jour ? Aujourd’hui l’aéroport peut accueillir des avions très anciens et très bruyants. En pratique il est très rare qu’un tel avion utilise l’aéroport mais la situation pourrait évoluer si une activité cargo se développait ou si les aéroports voisins interdisaient les avions les plus bruyants.
- Il nous a été expliqué que l’évolution de l’aéroport était rendue nécessaire pour s’assurer que Ryanair resterait à Beauvais et pour permettre une reprise de l’activité. Nous n’avons pas d’information sur les « promesses » de Ryanair. Sur d’autres aéroports, avec d’autres compagnie, il a été revendiqué que 3 avions basés pouvaient entrainer une augmentation du nombre de passagers de l’ordre de 200.000 à 300.000 par an. Avec un emport moyen (taux de remplissage des avions) de l’ordre de 163, nous aurions donc jusqu’à 1.840 mouvements de plus par an, environ 5 mouvements par jour. C’est loin d’être négligeable, tant par le bruit induit que par la pollution de l’air supplémentaires, NOx, particules et notamment les particules ultrafines (d’une taille inférieure à 1µm), et les gaz à effet de serre. Rappelons que le kérozène à un effet similaire à celui du gasoil sur la santé mais qu’on en parle jamais lorsque le diesel est évoqué.
- Le projet ne comporte aucune proposition sur les plafonnement du nombre de mouvements de l’aéroports qui est demandé par les riverains et certains élus alors que depuis des années nos élus et les représentants de l’aéroport nous assurent de l’existence d’un « plafond naturel ».
4. Pourquoi nos élus sont-ils prêts à sacrifier nos nuits ? Des raisons économiques ?
Comme toujours la raison invoquée est économique, création de richesse et nouveaux emplois. Avec un opérateur aérien détenant 85% de l’activité, nos élus sont pieds et poings liés ils ont trop peur que Ryanair quitte Beauvais pour d’autres cieux…
4.1 Ryanair peut-elle partir ?
Pourquoi Ryanair partirait-elle aujourd’hui ? Elle a besoin d’un aéroport desservant Paris, une destination très attractive pour ses clients. Aujourd’hui, seul Beauvais-Tillé répond à ses exigences. Pas trop loin de Paris, des temps de roulage sur la piste très courts, des escales réduites à 20/30 minutes, des redevances et taxes très faibles et même des exonérations.
Nous constatons que Ryanair cherche à se reporter sur les aéroports principaux, Barcelone, Frankfort, etc… A Paris, ni Orly ni Charles de Gaulle ne sont prêts à l’accueillir à des horaires convenables. Les créneaux horaires que Ryanair à pu obtenir à Paris ne convenaient pas, elle y a renoncé.
La construction du terminal 4 à CDG pourrait peut-être changer la donne et Ryanair pourrait alors quitter Beauvais pour Paris. Mais à Paris, elle ne pourrait pas non plus arriver après minuit. L’aéroport d’Orly bénéficie d’un couvre-feu de 23h30 à 6h, donc plus long qu’à Beauvais, et à Charles-de-Gaulle, les vols de nuit sont plafonnés. Les créneaux ont été attribués et figés de sorte la compagnie n’aurait pas le droit de revenir après minuit sans pénalité.
4.2 Les efforts demandés changeront-ils le futur ?
Ryanair a démontré jusqu’à présent qu’elle n’avait aucune relation stable/fidèle avec un aéroport. Quels que soient les efforts déployés par celui-ci. Si elle obtient les créneaux souhaités à Paris, elle partira. Le fait qu’on l’ai autorisée à baser des avions à Beauvais n’y changera rien. Ni les investissements complémentaires qui pourraient être réalisés à l’aéroport.
L’exemple de Barcelone est frappant, les collectivités locales avaient fait des efforts financiers énormes à Gérone pour accueillir Ryanair mais dès que celle-ci a pu transférer une part significative de son activité à El Prat, elle l’a fait en un rien de temps.
4.3 Sacrifier les riverains sera-t-il rentable ?
La maintenance des avions
La presse nous avait annoncé le recrutement de techniciens pour assurer la maintenance des avions la nuit. Il s’agit de techniciens spécialistes des avions Boeing B737-800, une technicité qui ne pouvait être trouvée à proximité de Beauvais….Contrairement à ce qui était annoncé, ce ne sont donc pas des emplois créés dans notre région mais des personnes venant de Belgique qui assureront cette maintenance.
La création d’emplois locaux
Il est certain que l’activité étirera les horaires d’ouverture le matin principalement. En outre les équipages logés sur place permettront quelques recrutements probablement, et nous sommes conscients combien ils sont précieux dans le Beauvaisis.
Le développement économique de la région
Ryanair souhaitant développer une activité de hub, de nombreux nouveaux passagers seront en transit, ils ne consommeront rien en dehors de l’aéroport, il n’y créeront pas de richesse, ils ne créeront pas d’emplois indirects. L’impact sera donc très faible, beaucoup d’efforts pour très peu de résultat.
En outre, pour ceux qui débarquent à Beauvais, un passager dépense environ 3€ dans notre région, ils préfèrent partir à Paris, est-ce suffisant ?
Des investissements non amortis
La « volatilité » de Ryanair est un risque sur la tête de nos élus et de notre communauté fiscale. Si le départ de Ryanair n’est pas certain, au moins un transfert d’activité est envisageable à terme. Il ne faut pas que le financement de cet aéroport soit une course en avant dont on n’arrive plus à s’échapper. L’aéroport a eu du mal à développer le marché, nous sommes contraints par deux compagnies, si Ryanair partait, tous ces investissements auraient-ils été fait en vain ?
5. Nos vies valent-elle si peu pour les sacrifier ainsi pour des impacts si faibles ?
Le SMABT a pris une décision de principe sans consulter la commission transport de l’Agglomération du Beauvaisis, les maires dont les communes sont affectées par les impacts négatifs des avions n’ont pas été consultés. A l’initiative de certains maires concernés et actifs, un processus de discussion se met en place au niveau de l’Agglo, mais les habitants de la région ne seront pas consultés.
Le projet sera soumis à la Commission Consultative de l’Environnement (CCE) de l’aéroport de Beauvais-Tillé, à une date non encore définie, pour avis. Ensuite, l’ACNUSA, Autorité de Contrôle des Nuisances Sonores et de la qualité de l’Air des aéroports rendra également un avis. Ces deux avis ne sont que consultatifs, ils ne lient donc pas les autorités qui signeront des arrêtés.
La décision est entre les mains du SMABT et du représentant de l’Etat (Préfet, DAGC, Ministre des Transports).
Il me semble que les élus sont prisonniers de l’aéroport. Certes, il rapporte un peu mais pas assez pour couvrir les investissements qui ont été réalisés depuis le début de son développement, il a permis la création d’emplois dans notre région mais la situation est précaire et ne tient que tant que Ryanair n’a pas d’autre solution pour desservir Paris. A la moindre occasion favorable cette compagnie peut quitter l’aéroport, pour qu’elle reste il faudra lui donner plus et encore plus.
Avant d’aller plus loin, nos élus doivent nous consulter et tenir compte de nos propositions, il faut que les riverains soient protégés. Est-il nécessaire de rappeler que le bruit et notamment le bruit la nuit, qui couvre une période de 8 heures consécutives, définie de 22 heures à 6 heures (ou 23 heures à 7 heures) est nocif pour la santé. L’OMS (Organisation Mondiale pour la Santé) a fixé à 45dB Lden et 40dB Lnight les niveaux de bruit au-delà desquels la santé des riverains des aéroports est affectée.